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Andalousie 9 - LA BAIE D’ISABELLE DE CADIX

  • Photo du rédacteur: Robert Verge
    Robert Verge
  • 2 mars
  • 14 min de lecture

Si Cadix était noyée, ce serait la Venise de l’Espagne. Joyau méconnu de l’Andalousie, baignée de tous côtés par le plus bleu des reflets de l’Atlantique, blanche comme une méditerranéenne, bronzée comme une marocaine , elle forme un cercle parfait au bout d’une fine presqu’île sablonneuse, contrôlant depuis le temps des phéniciens l’accès à une immense baie où le doux rio Guadalquivir vient à la rencontre de la mer salée.


Comme Venise, elle est parcourue de venelles sinueuses et marquée de placettes chaleureuses mi-ombragées, mi-éblouissantes de lumière. Contrairement à Venise dans quelque direction que vous vous y perdiez, vous arriverez vite à la promenade qui en fait tout le tour le long des plages et des murailles d’une rive de la presqu’île à l’autre.


J’étais débarqué là en bateau par une journée radieuse de printemps, le matin du Dimanche des Rameaux. L’air encore cristallin me donnait l’occasion de mille photos, ce promeneur de chiens racés, ce lecteur de journal fumant un gros cigare sur un banc devant la Mairie, ces acheteurs de loterie devant le kiosque bariolé, cette fleuriste qui garnissait fraîchement son étal parfumé.


Fin d’avant-midi, un flot croissant de citoyens endimanchés converge vers la Cathédrale de toutes les directions: ils vont assister à la messe des Rameaux, et je les suis. Les cathédrales d’Andalousie sont une véritable débauche de dorures et de sculptures que les rayons du soleil font reluire joyeusement. Les orgues baroques offrent un arrangement spectaculaire de tuyaux suspendus entre ciel et terre, et celui-ci entonne un hymne qui donne le signal du début de la cérémonie. La porte des sacristies s’est ouverte en deux battants de 10 mètres de haut et le prêtre entame sa procession des rameaux, flanqué de 12 marguilliers, tous fendant l’air de rameaux coupants deux fois plus haut qu’eux. Comme une armada dans le brouillard, ils se dirigent vers la grande entrée à travers les volutes d’encens qui finissent d’occuper tous les sens des spectateurs sauf le toucher.


Je m’étonne encore de la fierté qu’ils démontrent à m’offrir l’occasion de capter les meilleures photos. Ils m’acceptent comme témoin de leur foi sans s’imaginer comme je suis loin de les comprendre. Pour eux ceci est l’essence de leur vie paroissiale et communautaire, et j’imagine que le même rituel a cours en ce moment dans toutes les églises de la ville et du pays. Mais celui-ci est si grandiose que quand le célébrant prend la parole au lutrin je crois apercevoir le Pape en personne. À ce moment je préfère m’asseoir auprès de ma nouvelle amie Caterina, une jeune femme paraplégique au physique de marathonienne, qui m’avait gardé ma place auprès d’elle. C’est elle qui m’avait expliqué auparavant le déroulement de la cérémonie. Son frère chantait dans la chorale et nous allions justement entendre les voix s’élever dans le choeur cloîtré derrière nous.


Peu porté sur la messe moi-même, je ressortis bientôt en plein midi, aveuglé soudainement, et je rentrai de nouveau dans le dédale des rues attenantes à la recherche d’un estaminet où me désaltérer après tant avoir respiré d’encens et montré tant de respect. Une placette en triangle, Plazuela de la Cruz Verde, et me voilà attablé sur un tabouret avec une Galicia bien fraîche et deux tapas. Juché là, rassasié, j’en ai plein la vue, car la place est un point de rendez-vous pour les groupes de jeunes ou les familles qui s’en vont déjeuner. Des vieux messieurs cravatés trônent près de moi, leur caniche sous la table, parlant de politique et de foot. Je reste un peu plus longtemps que nécessaire et profite de mon zoom pour cibler quelques jolies cartes de mode au passage, car c’est dimanche, et on est tirés à quatre épingles ici. Je remarque que de plus en plus de musiciens en uniformes accélèrent le pas pour aller rejoindre, trompette ou clarinette en main, les premières procession de la Semaine Sainte qu’on inaugure.


L’animation est à son comble dans la vieille ville quand je reprends mon errance créative de photographe de rue. Place aux fleurs, Place de la Poste, Grand Marché (fermé le dimanche) mais entouré de terrasses à fruits de mer. Des vendeurs ambulants offrent des cornets de mini crevettes, d’escargots, de palourdes prêtes à déguster. Touristes, promeneurs, familles (que dis-je, des tribus couvrant 5 générations en quête de la terrasse idéale pour passer trois ou quatre heures à se régaler. On ne laisse pas les arrière-grands-mères au foyer le dimanche, on les aère!


Comme on est encerclé par la mer, on a l’impression qu’on trouvera la promenade de la plage au bout de n’importe quelle rue. Je choisis celle au bout de laquelle le plus gros arbre du monde joue dans le soleil en procurant de l’ombre à un million de scooters rangés là par les plagistes. Éblouissement garanti devant l’Atlantique, plage blonde et pur ciel bleu ouaté de petits cumulus-bousculus, car la brise est bonne.


Sur l’esplanade de la playa Caleta, un café spectaculaire en forme de navire surréaliste, oeuvre d’art moderne de métal et verre. Le pavillon voisin rivalise d’élégance 19ème siècle, même si ce n’est que le kiosque d’information touristique.


Un fort mauresque, le Castillo de Santa Catalina, monte la garde de la pointe ouest, seul passage vers la baie intérieure et le port. De là on peut scruter l’horizon comme Christophe Colomb, et visiter un petit musée.


On sent que tout ce quartier a été relevé à grands frais de la ruine, car il en reste des vestiges dans les ruelles adjacentes. C’était peut-être pour accueillir ce grand hôtel Parador 5 étoiles trop futuriste qui est venu cacher on ne sait quelle poche de pauvreté, entre le vieux fort et le Jardin botanique à l’ancienne, le Parque Genovese. On n’y trouve plus tellement de touristes dans les allées fleuries et sous les arcades des fontaines. Que des grands-mères avec leur petite princesse de trois mois ou de trois ans… Que des amoureux bécotteurs de vingt ans, ou de quatre-vingts ans qui clopinent. Des couples aux enfants exilés aussi, usés par vingt ans de vie de famille, soudain esseulés, et en train de ne rien se promettre, comme disait Brel. Je fais d’eux des photos qui me gênent, et je les efface ensuite.


On n’est plus dans la ville ici, et presque dans la mer. Chacun paraît songer à ses origines et à sa destination. Des arbres étranges, venus d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique bordent des allées de gravier. Des sentiers en spirale mènent parfois à des petits cercles de rosiers, fontaines, statues romantiques, on attend la balançoire de Fragonard. La fraîcheur végétale porte à la rêverie.


La chaleur saute au visage ensuite, quand on ressort du jardin pour retrouver les grands édifices anciens qui bordent le front de mer. Voulant contourner la ville en restant sur la promenade, on tourne à angle droit le long de la baie et on aperçoit le port à travers la verdure d’un nouveau parc linéaire, composé d’alamedas successives, soit des rangs de peupliers et de haies décoratives.


Mais la foule se presse là en grand nombre, il est 15 heures, et les gens font face l’église paroissiale Notre-Dame du Carmen: les cuivres des musiciens rutilant au soleil poussent quelques envolées mélodiques, et quelques clarinettistes répètent tandis qu’on attend l’ouverture du grand portail pour la procession. Ce sera ma première, je ne l’avais pas vue venir, et je suis excité comme un pou. Je ressors mon appareil photo et me faufile. La foule s’entrouvre devant moi comme par magie, tous me sourient et me facilitent le passage, je découvre un côté merveilleux du peuple espagnol vivant sa religion, soit une politesse extrême et un accueil chaleureux pour le photographe qui s’intéresse à eux.


Des familles entières ont pique-niqué dans le parc linéaire en face de l’église, et s’agglutinent maintenant pour mieux voir. les papas portent leurs garçons sur les épaules. Mères et grand-mères rapaillent leur marmaille au bord du trottoir. Les vieux ont été alignés là sur des chaises pliantes, et leurs arrières-petits-enfants passent à quatre-pattes sous leur siège et escaladent l'aïeul pour se faire une place sur leurs genoux, attirés par les bonbons. Un grand boum se fait entendre et un frisson parcourt la foule: le grand portail a vibré, mais il est à peine entrouvert. Il faudra encore un quart d’heure avant la sortie du Christ en croix, délai pendant lequel se forme le premier cortège de centaines de marcheurs pénitents de tous âges, en soutanes blanches et de capes bleues, blanches, pourpres, brodées d’insignes religieux en fil d’or, surmontées de ces longues coiffes pointues et masquant complètement le visage, qui nous choquent tant de prime abord, car nous les nord-américains les associons immédiatement au KKK, alors que l’emprunt s’est fait dans l’autre sens, de toute évidence.


Les yeux des pénitents brillent sous le masque, à la recherche de spectateurs qu’ils reconnaîtraient. La chaleur se fait lourde là-dessous, et certains finissent par retrousser le tissu pour se ventiler un brin. On se rend alors compte que plusieurs ne sont que des enfants, garçons et filles, appliqués à bien se tenir. Leur maman qui les reconnaît vient alors leur porter un quartier d’orange, un biscuit, une rasade d’eau fraîche, car ils seront contraints de terminer cette procession jusqu’à douze heures plus tard dans certains cas.


D’imposant majordomes en masque, chasuble et lourd collier de métal précieux circulent èa grands pas parmi eux, répétant les consignes de marche, et s’assurant que l’ordre d’apparition des congrégations soit bien respecté. Certains pénitents portent des paniers de distribution de médailles, d’images saintes et de bonbons en papillottes qu’ils distribuent avec largesse. D’autres portent de gros cierges d’un mètre de long et qui doivent peser plusieurs kilos. Des jeunes sur leur trottoir les appellent et réclament des coulisses de cire fondue pour engraisser leur boule de cire personnelle, qu’ils apportent à toutes les processions d’année en année. Leur boule multicolore devient de plus au plus lourde au fil du temps, et certaines sont parfois grosses comme des melons! Objet sacré, source de fierté, religiosité de l’enfance, comment savoir?


Au terme d’une attente jamais marquée d’impatience, le murmure général est soudain déchiré par l’éclat des cuivres de la fanfare, entamant une espagnolade solennelle pour accueillir le palanquin du Christ en croix. Cette énorme plate-forme, comme un autel de bois et métal orné, est portée par 48, 64 ou 96 porteurs devant, derrière et cachés dessous, et qui marchent au pas de la musique, donnant à la sculpture une oscillation hypnotique, fascinante. La foule acclame, applaudit, admire comme ils plient les genoux pour franchir le portail sans heurter la voûte, comme au signal, d’un seul ensemble, ils se relèvent une fois dehors, et comme ils effectuent un virage sur place pour s’aligner dans le cortège. La première pièce musicale est terminée et aussitôt les porteurs s’arrêtent, exténués par la lourde charge alors qu’ils n’ont parcouru que quelques mètres. La Cathédrale est pourtant à trois kilomètres, et c’est là qu’ils se rendent pour la bénédiction et le retour dans la paroisse.


Impossible de compter les participants au cortège, ils sont des milliers! Et ils s’avancent au signal des majordomes. Les premiers en tête sont si loin, qu’ils entendent à peine la mélodie tonitruante de l’orchestre qui suit le Christ. Les spectateurs sont éblouis, plusieurs se signent, des mains s’avancent pour toucher les frises de tissu décorant le palanquin. Le christ en croix doit culminer à dix mètres de hauteur, et tout autour ce sont des cascades de décorations, fleurs de plastique, verroteries, chaînettes, angelots, mais pour lui le thème est sombre et tragique, bien sûr. En deuxième partie, il y aura le cortège de la Vierge de lumière, dont les coloris et froufrous seront beaucoup plus gais et glorieux. Mais elle ne suivra qu’après bien d’autres processions d’ensoutanés au chapeaux pointus.


J’ai profité de toute une heure pour croquer des portraits de jolies filles dans la foule, de grands-pères tirant sur leur cigare du dimanche, de fillettes en crinolines et de petits garçons juchés fièrement sur leur papa, et je me dis mais que les hommes sont beaux dans ce pays! Est-ce l’ambiance?, mais quand on ne se cache pas pour prendre des photos, personne ne se cache du photographe non plus, et je me régale de tous ces clichés. Quand le Christ passe au plus près, alors que je vise vers le haut, je me rends compte que des gens observent la cérémonie depuis leurs balcons de pierre à l’étage des maisons bourgeoises. Deux jeunes couples d’âge universitaire il me semble, attirent en particulier mon attention. L’un des jeunes hommes paraît timide et absorbé en contemplation, sans trop prêter attention à sa compagne. L’autre couple, entretemps, faisant preuve d’ingéniosité, avait l’esprit bien loin de la religion. La très jolie brune était accoudée à la rambarde, et ses longs cheveux ondulants camouflaient tant bien que mal le fait que la main de son compagnon lui tripotaient délicieusement les seins sous son corsage décolleté. Non content de ça, il se tenait derrière elle et il était clair que son autre main farfouillait sous les jupes de la fille, même si les drapeaux tendus au balcon leur procuraient une intimité relative. Le rouge montait aux joues de la donzelle tandis qu’il lui faisait vraisemblablement sentir tout son désir.


Je tirai quelque photos de cet épisode sans en avoir l’air, mais ce qui me surprit le plus fut qu’au passage du Christ en croix, ils se remirent droit debout, respectueusement, et que le jeune conquérant fit même son signe de croix de ses doigts mouillés avec lesquels il lissa ensuite sa moustache d’un air innocent. La jeune femme, les jambes flageolantes, agitait son éventail en reprenant contenance.


Bien leur en prit, car c’est à ce moment qu’une gentille maman (sans doute) surgit sur le balcon pour leur offrir une tournée de sangria rafraîchissante sur un plateau d’argent, et ce n’est pas une expression, ces gens-là étaient de bonne famille. Ils trinquèrent tous et reprirent leur observation du défilé. Je les observais sans vergogne à travers ma lentille, mais ma curiosité attira l’attention de la dame des lieux, et je me cru démasqué. Je m’appliquai en rougissant à faire semblant de m’intéresser aux passants et aux musiciens qui défilaient dans un tonnerre assourdissant. Puis, détachant le viseur de mon visage, je me rendis compte que j’étais observé à mon tour depuis le balcon. La dame me fixait dangereusement, mais lorsque mon regard croisa timidement le sien, j’eus la plus extraordinaire surprise de la voir sourire par-dessous, battre des paupières suavement, et incliner la tête pour m’inviter comme on fait le cabeceo au tango. Saisi, je me sentais pris au filet comme la mouche dans une toile d’araignée, et puis je fis, Moi? pour m’assurer qu’il n’y avait pas méprise. Sans me lâcher du regard, elle acquiesça presque imperceptiblement, puis m’indiqua du regard et d’un doigt tremblant la porte cochère où me présenter sur-le-champ.


La procession avançait si lentement que le soleil penchait de plus en plus vers l’horizon, tandis que s’éloignait d’un pas chaloupé le palanquin du Christ au rythme de l’orchestre. On était un peu dans un creux, et personne ne s’étonna que je me retire du rang pour me déplacer ailleurs, je n’étais pas le seul d’ailleurs. En me faufilant sans en avoir l’air, je me rapprochai de la porte de bois verni qu’elle m’avait indiqué. Je n’eus pas longtemps à me demander si c’était bien là: les ressorts d’un énorme verrou de cuivre cliquetèrent et le battant s’entrouvrit. C’était bien sombre là-dedans, et seule une main blanche m’apparut, faisant mine de m’attraper sans me voir. Je tendis ma main à moi et me retrouvai aspiré à l’intérieur. L’ombre fraîche me donna le frisson, mais la dame était brûlante d’avoir été au soleil, d’avoir bu un peu, d’avoir eu l’audace de m’inviter, que sais-je, elle était brûlante! “Bienvenido, caballero, soy Dona Isabel. Vous devez être touriste et photographe, vous verrez la vue magnifique qu’on a du balcon. Permettez-moi de vous accueillir chez moi.” Elle me serrait la main de sa main brûlante, et m’offrit de déposer un bisou sur sa joue brûlante, ce pendant quoi elle rapprocha juste un peu trop sa poitrine brûlante de la mienne. Le piège était tendu, et j’avais déjà fait le choix d’être dévoré par l’araignée plutôt que de retourner dans la rue tout seul parmi dix-mille inconnus.


Les cours intérieures espagnoles sont toujours étonnantes, si vaste qu’on y imagine les chevaux et les carrioles. Mais la fontaine de mosaïques mauresques au centre ne servait plus qu’à rafraîchir ce patio agrémenté de plantes vertes en pots de faïence. Inés m’entraîna sans tarder dans l’escalier monumental conduisant à l’étage, dont elle avait laissé la porte d’accès ouverte également. Pas démontée ni intimidée, elle prenait la direction des opérations: “Les enfants, regardez le beau touriste canadien que j’ai rescapé du martyre, c’est Roberto! Roberto, ma fille Carmen (chaude comme sa mère, me dis-je) et son fiancé Manolito. Leurs amis de la fac: Lola et Esteban, ceux-là sont du nord, ils ont le sang moins chaud.”


Les deux jeunes couples s’excusèrent de devoir partir presque tout de suite, ils avaient rendez-vous pour l’apéro avec la famille de Diego, et nous laissèrent seuls et nous assurant que le spectacle de la seconde procession à venir valait encore mieux que le début un peu glauque selon eux. “Les stations du chemin de croix, on a beau les glorifier, elles restent un fameux carnage sinistre et dégoûtant, non? La Vierge triomphante va vous faire oublier tout ça quand vous la verrez sereine et éblouissante, la consolatrice des affligés!” On les entendit redescendre vers la rue en rigolant amicalement, comme les jeunes les plus choyés de la terre, sachant qu’ils ont la vie devant eux.


“Alors, cher ami, faites comme chez vous, profitez de l’hospitalité de la veuve joyeuse que je suis, je vous offre une sangria, vous devez avoir été sur vos jambes toute l’après-midi, non?” Soulagé de savoir qu’un mari jaloux n’allait pas surgir sabre au poing, je m’assis confortablement dans une profonde causeuse. Isabel me rejoignit avec deux amples coupes à la main, remplies de sangria, que nous avons savouré un moment en silence. Les bruits de foule nous parvenaient d’en bas, le crépuscule était déjà là, et une brise agréable faisait osciller les longs rideaux de chaque côté de la grande ouverture du balcon.


Nous prenions le temps de faire connaissance légèrement, et plus l’obscurité envahissait le salon, plus elle riait de mes blagues, posant sa main brûlante sur mon avant-bras, laissant son épaule s’appuyer sur la mienne, m’offrant du fait même un convaincant point de vue sur sa poitrine accueillante. En moi-même je me faisais des images de veuve noire et de proie consentante. L’alcool commençait juste à me brouiller les sens et à faire tomber mes défenses. Elle me dévorait de ses yeux noirs, et m’offrait ostensiblement ses lèvres charnues, brûlantes comme le reste. Notre premier baiser fut tout tendre, le deuxième tout baveux, et le troisième parut provoquer la sortie glorieuse de la Sainte Vierge de l’église voisine dans un fracas d’orchestre plein de clinquant et de fierté. La foule s’enthousiasma, nous tirant de notre bulle, et Isabel me souffla: “Il ne faut pas manquer ça, vous n’en reviendrez pas!”


Nous sommes alors sortis enlacés sur le balcon, et je ressentis un vertige encore plus fort, car si le ciel était déjà bleu cobalt, la Vierge était nimbée d’or et de son bleu marial, mais sur des lits de roses en cascades, et s’avançait en oscillant au tempo de la musique, nageant sur une mer de lampions, de cierges, de lanternes et de feux de bengale. La religiosité du peuple avait une élévation mêlée de crédulité, mais je voyais cela pour la première fois de ma vie et j’étais bouche bée.


Isabel semblait avoir un peu froid et se lova devant moi, se ceignant de mes bras de chaque côté d’elle et cherchant ma chaleur, car j’étais brûlant à mon tour. Je respirais ses cheveux soyeux, et ne me lassais pas de chercher son cou offert aux baisers tendres dont je la couvrais. D’un coup d’oeil à la ronde, je constatai que nous étions à l’abri de tout regard, car si la rue baignait dans le halo des milliers de bougies, notre balcon était dans l’obscurité, et hors du champ d’intérêt des fidèles adorateurs suivant le défilé.


Depuis longtemps, mes mains caressaient sa taille, son ventre, et maintenant ma main gauche s’insinuait dans son corsage rebondi et brûlant. Rarement avais-je connu une douceur pareille, et un accueil aussi appréciatif. Nos respirations se mêlaient, nos gémissements s’amplifiaient, et elle ne se tut, concentrée, que quand je relevai sa robe pour caresser de ma main droite brûlante ses fesses fraîches et trouver le chemin de sa fente luisante. Ses halètements me guidaient, et elle poussait de petites gloussements quand j’effleurais son bourgeon gonflé, gorgé, dressé, animé de sa vie propre.


Elle avait défait mon pantalon et trouvé mon cierge enflammé et il n’avait fallu aucun effort pour qu’elle se l’engouffre jusqu’au fond, qu’elle sente ma cire chaude s’écouler en elle, et qu’elle s’écrie à s’en époumoner: “Bonne Sainte Vierge, tu fais des miracles!” Sur quoi quelques badauds poussèrent des acclamations et retentit l’orchestre dans une sorte de valse lente accompagnant la statue dodelinante qui poursuivant son chemin sacré.

Le retour de la procession, à minuit passé, nous réveilla juste assez entre les draps de son lit à baldaquin pour que nous allumions un nouveau cierge pour célébrer les grandeurs de la création. Isabel pouvait crier tant qu’elle voulait, personne ne l’entendait, car elle paraissait chanter en harmonie avec les trompettes célestes. Cette veuve pouvait me dévorer à volonté, je ne m’en trouvais que plus invincible. Ce doit être ça, le paradis, me disais-je à chaque petite mort.


 
 
 

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1 commentaire


Danielle Voisard
Danielle Voisard
10 mars 2021

Mouhaaha! Bonne Sainte Vierge....on se croirait dans un film de Pagnol! 😁 Et à certains autres passages ...tu fais carrément la nique à San Antonio! Mdrr Quelle procession mémorable! Tu es béni des déesses ma foi ! 🤗🤟

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