top of page
Rechercher

Andalousie 1- Comment je suis descendu de l'avion avec une femme battue

  • Photo du rédacteur: Robert Verge
    Robert Verge
  • 10 mars
  • 4 min de lecture

Je la traînais par le bras en remontant à toute vitesse la coursive entre l'avion et l'aérogare. Elle avait du mal à me suivre, le sang couvrait son visage et elle n'y voyait pas très clair; elle rock-n-rollait sur ses talons trop hauts, et elle braillait tant que le mascara fondu faisait des bulles aux commissures de ses lèvres. En nous voyant ainsi surgir débraillés et larmoyants, deux policiers se précipitèrent vers nous pour m'arrêter. Ç'avait pourtant commencé comme un vol sans histoire, même le verglas de Montréal n'allait pas retarder notre départ sur les Ailes Américaines à destination de New-York. Les enfants couraient dans la salle d'attente bondée, les amoureux se bécotaient, la préposée mal embouchée rabrouait le juif à boudin qui plaidait pour sortir du troisième sous-sol de la la liste d'attente, «Les gens comme vous se présentent toujours au dernier moment en espérant embarquer; je vous préviens, vous avez 99% de chances de rester ici à attendre le prochain vol!» Il gardait un sourire piteux malgré ces remarques blessantes, tandis que tous les autres passagers replongeaient le nez dans leurs appareils électroniques pour ne pas voir la réalité sous son mauvais jour. Ma future victime, prostrée devant son téléphone, parlait en chuchotant à son téléphone pas trop intelligent ce matin-là. «Mais essaie de comprendre, à la fin... » Je cru saisir qu'elle avait mal dormi en compagnie de celui-là. Elle fut interrompue en sursaut par l'appel général de la préposée devant qui poireautait un chinois, monsieur Zhou, qui ne parlait pas assez l'anglais pour mériter le siège qu'on lui avait assigné, devant les sorties d'urgence de l'avion. Comme on ne met qu'une agente de bord sur ces courts-porteurs de 50 places, il faut que les passagers puissent prêter main forte en cas d'atterrissage forcé. Et cela même si on leur a fait payer 25$ pour mettre leur valise dans le ventre du cylindre volant. «Gentils passagers, nous avons une urgence, si quelqu'un comprenant bien l'anglais voulait bien changer de siège pour en obtenir un plus spacieux devant une sortie d'urgence...» Une fois de plus dans le hall bourdonnant, les nez restèrent collés aux écrans, ou alors personne n'avait saisi son discours hurlé en anglais...? Voyant que ça ne bougeait pas, je m'avançai pour m'offrir en sacrifice, et obtint sur-le-champ une nouvelle carte d'embarquement. Je me trouvai de ce fait à devenir par hasard le voisin de vol de cette jeune dame dont la conversation téléphonique avait bien mal fini. Une belle haïtienne, je crois, grande et fine, mais qui se retranchait dans une bouderie tranquille, se débarrassant au plus coupant de ses escarpins pour mieux faire semblant de piquer un somme. L'agent de bord nous dérangea d'abord pour confirmer en anglais que nous étions bien disposés à nous enfuir les premiers de cette carcasse fumante, s'il lui prenait la funeste envie de sombrer en cours de route. L'avion fit du taxi si longtemps avant de décoller que c'est moi qui somnolait déjà; je fourrai mon livre dans le filet, et m'allongeai les jambes dans notre espace amélioré, les bras croisés, comme un ours dans sa tanière. Ma nuit à moi aussi avait été courte, car j'avais refait ma valise en pensée au moins dix fois! De telle sorte que, passé les soubresauts du couvert nuageux à mille mètres et installé au calme et au soleil à dix-mille, mon esprit vagabondait allègrement au pays des rêves. Je suis un dormeur redoutable. Quarante-cinq minutes plus tard, le pilote coupa les gaz et nous mit déjà en descente. Je sentis ma voisine frétiller et s'activer, plongeant à plusieurs reprises la main dans son sac pour en tirer mille produits de beauté aux odeurs doucereuses que les filles adorent et que les garçons abhorrent. Au neuvième plongeon, j'ouvris quand même un oeil, pour me rendre compte qu'elle se servait de la caméra de son téléphone d'une main et comme d'un miroir, et qu'elle s'appliquait une crème contre les poches sous les yeux. Elle commençait à être plutôt belle déjà, mais je me sentais vraiment trop proche de son intimité, alors je préférai refermer les yeux pour m'assoupir de nouveau instantanément. Mal nous en prit, car au même moment où le train d'atterrissage claquait sous nos fesses, on ressentit un trou d'air énorme, comme il nous arrive parfois dans un rêve, justement. Je décroisai les bras dans un sursaut tel que je lui accrochai solidement le coude, lui poussant la main dans l'oeil. Détail non négligeable, cette main tenait une tige à mascara bien pointue, qui glissa sur sa cornée et alla se loger profondément dans le coin de l'oeil, entre l'orbite et l'os, pour ne plus en ressortir. Du sang gicla, puis des larmes, pendant qu'elle glapissait de surprise et d'horreur. De douleur, je ne sais pas, ces régions-là ne sont pas très innervées, pas vrai? Elle était énervée en tout cas, mais si près de la piste, on ne pouvait plus se lever; et pour aller où, je vous le demande?! ----- C'est ici qu'il faut relire le premier paragraphe. «It's not my fault officer, she did it to herself!» (J'ai rien fait, monsieur l'agent, c'est tout de sa faute à elle!) Le plus gros policier prit ma relève auprès de la fille, mais l'autre, une petite baraquée et répondant au doux prénom de Altagracia selon sa brochette, me bloqua le chemin et dit entre ses dents: «You all say the same thing, you motherfuckers, now turn around and put your hands behind your back!» (Tu vas payer pour tous les salauds qui m'ont maltraitée, je te passe les menottes! ) J'ai bien failli manquer ma correspondance. Tout ça pour un oeil crevé. Pfff!

 
 
 

Posts récents

Voir tout

1 Comment


Danielle Voisard
Danielle Voisard
Mar 09, 2021

Ishhhh! On s'y croirait!!

Like
Post: Blog2_Post
bottom of page