Andalousie 2 - Non avere paura, Paola!
- Robert Verge
- 9 mars
- 10 min de lecture
Il se trouve dans la Cathédrale de Grenade toute blanche, des confessionnaux de bois acajou de forme arabisante par leur dôme en pointe arrondie et leurs grilles évocatrices des moucharabieh marocains. Quand le rayon de soleil du matin tombe là-dessus en oblique, la photo est obligatoire... et permise!
Il ne manquait que la pénitente, me disais-je; vous savez bien, celle qui ne vient à confesse que pour parler au saint homme qui fait l'objet de ses désirs profonds. Lui seul la comprend. Il l'écoute et elle s'ouvre à lui de tout son coeur. Chaque jour, ou presque, sinon il la met au courant de ses absences occasionnelles, quand il doit dire la messe des morts dans un quartier voisin. Il ne voudrait pas lui non plus que leurs secrets intimes soient éventés si par inadvertance elle les racontait à un remplaçant.
Dans toutes ces églises patrimoniales, des hauts-parleurs laissent filtrer de douces musiques sacrées invitant au recueillement. Seuls les groupes de visiteurs accompagnés de guides, bavards ou ennuyeux, rompent toujours ce silence par intervalles. Visites aux demi-heures...
Un groupe italien s'avançait tout enthousiaste, alors que je télescopais mon trépied pour faire cette photo, celle du rayon de soleil du pardon sur le confessionnal indiscret.
Je devais sourire tout seul tout en me serrant entre deux banquettes pour les laisser passer et en pensant à mon histoire, car la dernière poule de la basse-cour, une jolie dame qui traçait à main levée dans un carnet des croquis de sa visite, et restait donc un peu à la traîne, capta mon regard et me rendit ce sourire tout naturellement. Je pris conscience de mon air conspirateur et pouffai de rire. Elle s'arrêta doucement, souriant de plus belle, l'air de dire: à quoi pensez-vous?
Je bredouillais un peu en lui racontant mon histoire de confession amoureuse que je voulais mettre en scène, mais pour laquelle il me manquait la protagoniste. Pas démontée, elle me dit, je suis étudiante en histoire de l'art religieux à Florence, votre projet m'intéresse follement, et les prêtres, je les manoeuvre comme je veux! Sauf que mon groupe s'éloigne, je ne dois pas tarder!
Domani per la mattina, alors, oui, vous reviendrez demain? Venez donc un quart d'heure plus tôt, la lumière sera parfaite et le groupe ne sera pas encore à l'heure de passer. De plus, c'est un coin dérobé, peu de gens passent par là, nous serons tranquilles. Et puis, pensez à votre vêtement, à vos gestes, vous êtes une jeune femme pieuse pour tout le monde, mais vous voulez que ce prêtre brûle d'amour pour vous. Vous en avez assez d'attendre, vous allez lui jouer le grand jeu!
D'accordo!, a domani!, ajouta-t-elle en gambadant vers son groupe, ce sera très drôle. C'est seulement à ce moment que je pris conscience de sa beauté innée, de sa grâce. On se noyait dans ses yeux bleus, sa crinière châtaine ondulait et jetait des reflets d'or qui paraîtraient peut-être à la photo sur la muraille de craie de la niche. Et sa silhouette, alors qu'elle m'adressait un arrivederci de la main à distance, affichait plus de plénitude que j'avais d'abord remarqué. Même sa voix cristalline m'obsédait maintenant. Comment un prêtre, même le plus dévoué à sa vocation qui soit, pourrait-il rester insensible à ces inflexions taquines et tendres...? Mais comment rendre ça à travers une simple photo, me disais-je, il faudra que ça crève l'écran!
Je n'ai même plus songé à faire la photo du confessionnal isolé ce matin-là, et puis déjà, la lumière était passée. J'avais mon personnage, et je me contentai de faire le repérage de la zone, imaginant comment choisir la bonne lentille, songeant à placer une toile réfléchissante ici, ou là! Je m'excitais: je tenais là une idée formidable, et un personnage fascinant. Je passai le reste de la journée à errer plaisamment dans la ville, je cassai la croûte au café La Tertulia, puis je rentrai et m'allongeai sur mon lit en pensant constamment à tout ce qu'il fallait pour me préparer, les appareils, les idées de scénographie, les angles... Dios mio, je ne savais même pas son nom! Et viendrait-elle seulement? Elle a dû simplement se moquer de moi, la madone coquette.
Je sombrai dans un sommeil extatique, à la fois réjoui et agité, et mes rêves ne firent qu'intensifier mon expectative en me faisant visiter des chapelles compliquées comme des labyrinthes, et trop sombres pour en garder la moindre photo. Au lever du jour, au premiers rayons de soleil, je me mis en frais de rassembler mon petit barda. Petit café au passage de la Plaza Romanilla, puis devant l'église à huit heures moins cinq, juste avant l'ouverture des portes. Vague odeur de cire et d'encens, fraîcheur de la pierre, tout m'inspirait déjà. Le rayon de soleil n'était pas du tout encore en place, mais j'avais bien une heure devant moi, si elle venait à l'heure dite, mais pourvu qu'elle vienne!
Je ne pouvais rien faire d'autre maintenant que d'attendre. Pour un peu j'aurais prié, mais je passai plutôt lentement de la méditation à la somnolence. Ma nuit trop courte me rattrapait, et les vapeurs du sommeil me reprenaient vite, sur ce fond de douce musique d'orgue. Je sursautai comme un gamin quand elle mit sa main sur mon épaule pour me signaler son arrivée. Elle m'avait regardé un moment dodeliner de la tête sans oser me réveiller, mais c'était l'heure, et elle avait fait ce qu'il fallait. À moi de tenir mon bout du pari!, ricanait-elle, coquine. Elle portait une sorte de cape, ou de longue mantille andalouse, passée joliment sur sa tête pour cacher les cheveux comme il est de mise pour une femme convenable.
Tout notre plan me revint à l'esprit, et je lui expliquai: Alors voyez-vous... Comment vous appelez-vous, au fait? Paola?, c'est joli. Bon Paola, vous passez tous les matins voir ce confesseur. Vous lui dites tout depuis longtemps, et il reçoit vos confidences comme s'il vous connaissait depuis toujours. Vous avez donc développé à son égard des sentiments de plus en plus forts, vous sentez votre coeur s'attacher à lui, et la présence du grillage entre vous devient gênante.
Oui, enchaîna-t-elle, et je sens que lui non plus n'est pas indifférent. Il se penche vers moi et je sens même son haleine chaude quand il rougit de mes aveux et lève les yeux au ciel en rougissant... Cette fille était une vraie boîte à surprise.
Allons-y comme si c'était du cinéma, jouez la scène et je prendrai les photos au fur et mesure, comme si c'était un roman-photo, tiens. Les sentiments finiront par se voir, forcément. Allez vous agenouiller d'abord. Il n'y a personne autour de nous? Vous êtes maintenant seule avec lui, il vous attendait fébrilement. NON AVERE PAURA, PAOLA! Ne craignez rien, je suis votre complice.
Guidée par mes paroles, et habile au jeu de la séduction, elle posa une main sur le prie-Dieu, puis un genou, puis les deux, prenant soin de m'offrir un profil ouvert afin que mes photos révèlent son visage sans obstacle. Déjà, mon obturateur automatique s'emballait. Je voulais capter les émotions, mais c'est dans ses mouvements subtils qu'elle les révélait, alors il ne fallait pas hésiter et y aller en rafale. Même quand elle unit ses mains en prière, gantées de dentelles à l'ancienne, et se recueillit, ses yeux avides cherchaient le profil du prêtre à travers les barreaux séculaires. Ses pupilles agrandies captaient la lumière comme je n'aurais jamais imaginé. Les peintres y arrivent par mille artifices, et elle, elle savait l'offrir comme ça au regard de ma lentille comme une actrice de grande classe. Il y avait avait de la Sophia Loren en elle quand elle eut établi le contact avec le confesseur et qu'elle s'enhardit à retirer des deux mains la mantille de sur sa tête.
Je vis alors ses deux bras nus et nacrés se soulever et aller libérer ses cheveux lourds, en cascades brillantes, tandis qu'elle faisait un geste tout coulant pour leur permettre de se placer. Au cinéma, ç'a aurait été au ralenti! J'avais du mal à me concentrer, il me fallait déclencher et déclencher encore, mes genoux fléchissaient d'une émotion incontrôlable. Cette fille nous tenait captifs, moi comme le curé. Au moins lui, il serait assis et barrricadé, tandis que moi j'étais comme un voyeur fragile et tremblant.
La séance continuait, car elle jouait son rôle à merveille. D'abord, la mantille descendit complètement et je manquai pousser un cri. Elle n'avait dessous qu'un espèce de jupon froncé en coton blanc. Dont le corsage pas entièrement boutonné contenait mal ses seins amples et rebondis. Elle les offrait au regard du confesseur en prenant bien garde de ne rien me cacher à moi non plus. Je ne disais plus rien, elle avait pris les choses en main, et j'obéissais seulement. J'avais l'impression que mon bouton de caméra chauffait à blanc, et j'essayais tant bien que mal de vérifier la qualité du résultat pour m'ajuster au fur et à mesure.
Tutto bene?, me dit-elle sans quitter des yeux son amour à travers la grille de bois lisse, usé par les milliers de fronts de pénitents passés là avant nous. Je vais lui faire une petite scène, suivez bien. Et disant cela elle avança la main pour s'agripper au grillage et le secouer un peu en fronçant le regard et en articulant de ses jolies lèvres si délicieusement italiennnes, une sorte de grognement sensuel et volontaire: elle lui en voulait vraiment de sa résistance et elle en viendrait farouchement à bout! Elle commença aussi à faire des mouvements de la tête et du corps comme si elle plaidait sa cause devant cet homme insensible à son tourment.
Mais plus elle se démenait, plus moi je faisais encore photo sur photo, et plus son corsage se déliait, laissant apparaître ses globes entiers l'un après l'autre, clic-clic, et elle alla jusqu'à les soulever tendrement avec ses gants dentelés pour les porter à la vue de son amant trop vertueux, et en même temps les offrir au rayon de soleil qui inondait la scène parfaitement comme prévu dans notre plan. C'était à la fois virginal et maternel, tendre et souffrant, donnant et quémandant.
Prise à son jeu, elle ignorait mon émoi, car elle aurait bien vu à mes joues enflammées que j'étais saisi. Si elle n'avait pas entendu tous mes déclics, elle aurait peut-être quitté sa transe, mais non, je crois que ça l'encourageait chaque fois qu'une rafale la mitraillait. Étrangement, elle avait intégré le modèle de tous les tableaux religieux qu'elle avait étudiés, car elle arrivait à se dénuder et à se démener tout en gardant la dignité picturale qui permettrait à ces photo mêmes de devenir de véritables oeuvres d'art.
Le corsage était maintenant entièrement retombé jusqu'à ses hanches, et sa poitrine oscillait, respirait et pleurait en saccades, elle donnait en même temps l'impression de simuler une grande excitation sexuelle. Elle espérait que son confesseur la touche enfin, et fasse d'elle une femme aimée, ici et maintenant. Clic Clic, je n'en revenais pas, mais je tenais là tout un sujet et je n'allais pas lâcher ma proie.
La fraîcheur de la pierre d'église la fit frissonner, et ses seins se tendirent un tant soit peu, raidissant ses aréoles délicates, ce que ma lentille put capter en direct, tout comme je ressentait le même genre de frisson et de tension dans mon bas-ventre. D'ailleurs elle s'avisait elle-même du coup que le rayon de soleil se déplaçait tout lentement depuis dix minutes que durait notre petit jeu, et elle tenait à m'offrir toujours le meilleur angle et la meilleure lumière. J'avais juste indiqué de la main une fois ou deux mon désir de la voir sous un meilleur angle, et elle me voyait du coin de l'oeil changer de position, mais ce n'était jamais moi qu'elle fixait, son regard était rivé à celui du prêtre et elle lui en faisait baver.
Jugeant que le moment était venu, et la lumière parfaite, elle se leva lentement pour me donner tout le temps de m'ajuster et alla s'adosser à la muraille blanche baignée de la lumière des vitraux qu'illuminait le soleil maintenant tout chaud de cet avant-midi d'été, et elle laissa alors gracieusement tomber tout son vêtement au sol, exposant son corps de plénitude féminine à la chaleur aussi évidente de nos regards combinés, au confesseur et au photographe. Clic clic clic. C'était une vision inestimable de sainteté, sa toison lustrée, son nombril tout tendre, ses jeunes mamelons érigés, elle affichait cela avec l'intensité d'une Marie-Madeleine offrant sa vie au fils de Dieu. L'étudiante en art était devenue son oeuvre la plus magistrale de toutes. Elle avait ondulé, elle avait laissé enfler sa respiration, elle avait baladé ses mains toujours gantées de fine dentelle sur tout son corps, c'était irrésistible, et elle n'avait pas résisté à la jouissance non plus. Le petit cri comme un glapissement animal qu'elle avait poussé parmi mes déclics, l'apaisement soudain de son sentiment exacerbé, je n'en pouvais plus d'une séance pareille.
Mais c'en était fini comme c'était venu, car on entendait maintenant clairement le guide italien s'approcher avec son nouveau groupe de touristes, et dangereusement près. Paola ramassa ses voiles au sol, un peu interdite. Le confessionnal, Paola, la pressais-je, aller vous rhabiller en cachette là dedans, personne ne s'en rendra compte. C'était la seule solution en ce moment, et ce fut fait, la petite portière claqua, et je me retrouvai tout seul à rassembler mon attirail de l'air le plus cool possible, malgré le regard interrogateur du guide qui me voyait là une seconde journée d'affilée. Eh oui, lui dis-je, la lumière, la lumière... Mais les reflets des vitraux avait déjà disparu de la muraille, et il dut penser qu'il me manquait des lumières à moi!
L'alerte était passée depuis trois minutes, et Paola y était toujours. Peut-être attendait-elle mon signal? Je toquai doucement au portillon, Paola? Puis plus fort, sans obtenir de réponse. Quand il faut, il faut: j'entr’ouvris alors moi-même le confessionnal et y passai la tête. Je m'attendais à une profonde obscurité, mais je fus diablement étonné de trouver sur le sol le blanc corsage de la jeune femme, en désordre sur la soutane du curé. Devant moi, un double fond, une autre porte entrouverte sur une sacristie secrète, par où avaient dû s'enfuir les amants pécheurs.
Stupéfié, époustouflé par cette découverte, je n'allais pas courir à leur poursuite, après tout. Je ne pouvais pas imaginer ce qui s'était passé. Je sentais bien qu'elle vivait quelque chose de fort à part moi, réduit au rôle de simple voyeur. Peu importe au photographe, même blessé dans l'orgueil de mes illusions, j'avais dans mon appareil tout ce qu'il fallait pour raviver le souvenir et l'immortaliser pour les siècles des siècles. «Une bombe à Grenade», quel titre de reportage pour le magazine qui m'achetait mes séances de nu occasionnelles, habituellement faites avec des filles blasées, payées pour s'allonger lascivement.
Je rentrai à l'hôtel en courant, en nage sous le soleil de fin d'avant-midi, je mis ma carte-mémoire à décharger dans l'ordinateur, et je sautai dans la douche en attendant, pour me rafraîchir et me ressaisir de cette aventure biblique. Je me séchai en vitesse, et toujours nu, je mis mes lunettes pour admirer les 247 nouvelles photos importées dans ma galerie: 247 fois le même confessionnal sous tous les angles imaginables. Mais de Paola? Aucun signe visible! Ce n'était pas Marie-Madeleine, mais la Vierge de l'Assomption qui était disparue sous mes yeux! Ah, dormir et rêver dans une église, c'est miraculeux!
Quelle finale audacieuse...et tristounette pour ton personnage!